Logorrhée

L'autre jour, SFR s'est fendu d'une conférence de presse à la Fondation Cartier pour présenter le « nouvel SFR », rien que ça. C'est quoi le « nouvel SFR » ? Bah on s'en tape, c'est juste du flan marketing, et de toute façon c'est pas le sujet ici. Non, ce qui est intéressant, c'est que pour fêter ça, SFR a dévoilé son nouveau logo, que je ne résiste pas à vous présenter :

(Je vous laisse le temps d'admirer avant de reprendre)

(...)

(Voilà, ça devrait suffire)

Je sais pas ce que vous en pensez, mais moi j'appelle ça du foutage de gueule dans les règles. Non seulement ça ressemble à rien, mais j'aimerais qu'on m'explique d'où sortent ces ombres et ces reflets alors que c'est jamais qu'un foutu carré en deux dimensions. On peut sans doute trouver des explications très censées d'un point de vue marketing (du genre : « bin oui, mais sans les effets Photoshop pourris ça ressemblait trop au logo d'Orange »), mais je crois qu'il faut être honnête : ça n'a aucun sens, c'est juste là pour faire web 2.0, high tech et tout ce qui s'ensuit (France Télévisions a d'ailleurs eu recours au même filtre pour moderniser ses logos).

Bref, cette horreur m'a fait penser à cette frénésie de changement de logo qui a secoué la France depuis quelques années, touchant aussi bien les banques, les entreprises publiques que les administrations, et je m'en vais vous illustrer tout ça de quelques exemples bien choisis.

D'abord, pour rester dans la thématique : « Ptin, Photoshop c'est trop chouette, y'a plein de filtres, vas-y, essaie çui-là, c'est trop beau, ça brille ! » l'immonde logo du Crédit Lyonnais :

Comme pour SFR, on se demande d'où peuvent bien sortir ces reflets moisis, mais il y a pire. Parce que franchement, j'aimerais qu'on m'explique ce que c'est que cette espèce de courbe sur laquelle on a collé un effet chrome qui rappelle les groupes de heavy metal des années 80, et qui, partant de nulle part, ne va nulle part. Je n'arrive tout simplement pas à comprendre pourquoi ils sont allé foutre ce dégradé moche et cette ombre ridicule, qui tendent à suggérer un effet de volume là où il ne devrait pas y en avoir dans un monde obéissant aux règles de la physique élémentaire. Tout cela est très vilain et a coûté bien cher : 20 millions d'euros pour trouver le nouveau nom de la banque (bin si, c'est plus CL, c'est LCL), le logo, payer la campagne de com et mettre les agences à jour. Et dans quel but ? Pour faire oublier les déboires du Lyonnais et s'acheter une nouvelle virginité toute propre. Ce qui est totalement foiré car tout le monde continue à parler du Crédit Lyonnais, et non de LCL, et que les histoires autour de Tapie cet été ont montré à chaque contribuable qu'il avait pas fini de se faire entuber à sec à cause de cette banque.

D'ailleurs, pour une marque, changer de nom est bien souvent un échec. Si Messier s'est bien débrouillé pour se débarrasser des casseroles de la Générale des Eaux en la renommant Vivendi, combien de millions de Français sont encore persuadés aujourd'hui que leur FAI s'appelle Wanadoo, et que leur opérateur de mobile est France Télécom (voire Itinéris pour les plus obtus) ? Mais revenons-en au sujet qui nous occupe : le mauvais goût en matière de logo.

Je terminerai le chapitre « les reflets, ça fait chic » avec l'exemple de La Poste.

Alors que d'une part elle allait être privatisée, et que d'autre part elle allait scinder en deux ses activités courrier et banque, La Poste s'est dit qu'il était temps pour elle de se créer une nouvelle image. Le résultat se passe de commentaires.

Et tout ça pour la modique somme de 70 000 €. Auxquels il faut ajouter les 10 millions de com et encore une louchée de millions pour repeindre les véhicules, mettre à jour les agences, etc, etc.

Mais La Poste ne s'est pas arrêtée en si bon chemin, puisque la toute nouvelle Banque Postale avait bien besoin d'un logo, elle aussi, la pauvre.

(tiens, c'est marrant, j'avais jamais remarqué à quel point ça évoque le logo du Lyonnais)

Alors, bien sûr, on échappe pas à la sacro-sainte règle du logo de l'an 2000 : point de logo chiadé sans un joli dégradé. Mais au lieu de céder à l'air du temps avec un effet plastique 2.0, les graphistes ont osé être audacieux en utilisant un effet ferraille trouée, qui fait ressembler ce logo a un genre de pochoir (peut-être est-ce simplement le pochoir qu'ils utilisent pour customizer leurs Kangoo).

La Poste n'est du reste pas la seule vénérable entreprise publique à avoir revu son identité visuelle  ces dernières années. C'est comme si tous les services publics se tiraient la bourre pour savoir qui ferait le plus nawak. En cette matière, la SNCF a tout de même une longueur d'avance.

Je ne sais pas comment ils se sont démerdé pour arriver à rendre cette impression d'instabilité, ce sentiment diffus que ça va se péter la gueule, mais en tout cas c'est réussi. Peut-être parce qu'ils n'ont pas laissé cette courbe (censée évoquer le nez d'un TGV) finir tranquillement sa trajectoire, et ont préféré la casser d'un coup avec une diagonale qui va dans le sens contraire. Je sais pas si je me fais bien comprendre, mais vous voyez l'idée.

Je pense aussi que le choix, disons, « audacieux » du dégradé de couleurs y est pour beaucoup. Heureusement, grâce à l'italique et à la typo, on sait qu'on va certainement se péter la gueule, mais qu'au moins on y va vite.

(Pour nos amis amateurs de chiffres : prix du logo = 70 000 €, déploiement = 4 millions, et pour la campagne de com, j'ai pas trouvé de chiffre mais vous pouvez sans risque ajouter quelques millions )

Et voilà, la SNCF est maintenant prête à affronter le monde sauvage de la libre concurrence. Tout comme d'ailleurs GDF, qui nous a récemment gratifié d'un magnifique logo nawak :

Bon, il n'y aurait que la flamme bleue, j'aurais rien dit, mais c'est cette couille verte qui me chagrine. Alors, d'accord, je sais bien que toute entreprise est tenue d'avoir un certain quota de dégradé dans son logo, c'est comme ça, c'est maintenant obligatoire, mais pourquoi sur une couille verte ? Qu'est-ce qu'ils essaient de nous dire, bon dieu ?! Ca reste pour moi un mystère.

Mais tout ça c'est de la petite bière avec ce que nous allons aborder maintenant. Le logo qui me donne des envies de meurtre, la palme de l'aberration, celui d'ÉDF.

Oh, je sais, vu comme ça il a l'air bien innocent. Il est même d'une banalité affligeante. Ce machin orange, qui évoque tout et rien, et qui est sans aucun doute une forme prédéfinie de Photoshop, ne m'empêche pas de dormir. Non, ce qui me fait hurler c'est la typo. Rappelons que le sigle ÉDF signifie Électricité de France. C'est en fait un abus de langage de prononcer euhdéhaif, il serait plus juste de prononcer édéhaif (ce qui est un peu con comme prononciation, je vous l'accorde). Mais voilà, une légende urbaine voudrait qu'on soit pas obligé de mettre d'accent sur une majuscule.

D'ailleurs, si vous me permettez de raconter un peu ma vie, j'avais une prof en primaire qui nous interdisait même de mettre des accents sur les majuscules, sous prétexte que c'est la règle et que c'est comme ça. Or, madame dont j'ai oublié le nom, je suis bien aise de vous citer aujourd'hui cet avis de l'Académie française : "On ne peut que déplorer que l’usage des accents sur les majuscules soit flottant. On observe dans les textes manuscrits une tendance certaine à l’omission des accents. En typographie, parfois, certains suppriment tous les accents sur les capitales sous prétexte de modernisme, en fait pour réduire les frais de composition. Il convient cependant d’observer qu’en français, l’accent a pleine valeur orthographique. Son absence ralentit la lecture, fait hésiter sur la prononciation, et peut même induire en erreur. Il en va de même pour le tréma et la cédille. On veille donc, en bonne typographie, à utiliser systématiquement les capitales accentuées, y compris la préposition À."

Et vlan.

Où j'en étais moi ?

Oui, donc, ÉDF. Si l'usage a fait qu'on tolère le manque d'accent sur une majuscule, ne pas en mettre sur une minuscule est tout simplement, d'une part, une faute d'orthographe, et d'autre part, du grand n'importe quoi. Et pour bien nous montrer à quel point ils disent fuck à la langue française, les mecs d' ÉDF mettent toutes les autres lettres en majuscule ! Ce qui n'a absolument aucun sens : s'il y a une lettre qui devrait être en minuscule, à la rigueur c'est le « d » puisque Électricité de France. Mais c'est des malades chez ÉDF, rien à foutre de la logique, on veut mettre de la minuscule, pasque c'est tendance (cf ANPE, on y vient), et en plus un « e » en minuscule c'est deux fois tendance pasque ça fait « e-business », « e-commerce », « e-nawak » ou que sais-je encore. Et puis, maintenant on est une boîte international et les accents c'est trop ringard, ça fait trop français. Donc on ne doit plus prononcer ni euhdéhaif ni édéhaif, mais idéhaif. Et si ça ne veut rien dire, on s'en cogne.

Ah comme je hais les types qui sont responsables de cette abomination orthographique. Comme j'aimerais les voir pendus avec leurs propres tripes. Et je ne jette pas la pierre aux graphistes, ils ne font qu'exécuter les ordres de leurs clients, les vrais responsables sont les décideurs dans les entreprises.

Pour en finir avec ce trop long billet, abordons le cas fascinant de l'ANPE et de l'Assédic.

Il y a quelques années, ces deux administrations ont décidé de se refaire une beauté, et il y en avait besoin, pas de doute là-dessus.

Et là, patatra, scandale. Des gens ont trouvé culotté que l'ANPE casque 2 400 000 € pour avoir son logo et le déployer dans ses agences. (côté Assédic, je n'ai pas trouvé de chiffre. Apparemment, ils n'ont pas fait appel à une boîte de graphisme, mais même s'ils n'ont pas payé le logo bien cher, il a quand même fallu mettre à jour les agences, ce qui a dû coûter bonbon).

Pour se justifier, on a dit à l'époque que le précédent logo datait des années 70 et que celui-là durerait au moins 10 ans.

C'était en 2003, et on ne pouvait pas prévoir que 5 ans après, le gouvernement déciderait de fusionner l'ANPE et l'Assédic au sein d'une seule structure.

L'idée n'est d'ailleurs pas mauvaise en soi, mais les choses se gâtent quand la com vient s'en mêler. Parce que d'abord, il faut trouver un nom à cette nouvelle entité. Alors au gouvernement, on réfléchit, et puis on se dit qu'il vaudrait mieux confier ça à des pros. On fait donc appel à la boîte responsable, entre autres, des noms Vélib' et Wanadoo, et, à peine 135 000 € plus tard, on se retrouve avec « Pôle emploi ». Voilà de l'argent bien dépensé. Mais ça s'arrête pas là. Parce qu'il faut bien un logo pour aller avec. Alors on cherche, on réfléchit, on propose, mais le client (en l'occurrence l'état) n'est pas content : il veut absolument que le logo intègre les couleurs nationales. Là, les graphistes ont dû avoir envie de se la prendre et de se la mordre, parce que sans vouloir manquer de respect au Tricolore, le bleu, le blanc et le rouge, c'est plutôt duraille à caser dans un logo sans que ça fasse moche et ringard. D'ailleurs, eux non-plus n'y sont pas parvenu :

Ce machin est un peu un condensé de tout ce qu'on peut haïr dans un logo de l'an 2000 : l'effet plastoc 2.0, la typo sans serif ni personnalité, et, bien sûr, tout en minuscules. Évidemment, le choix des couleurs accentue la laideur de l'ensemble, en plus ce « e » qui a le cul entre deux chaises, ça rappelle le logo de Carrefour. On notera d'ailleurs qu'il est décentré, comme le logo pourrave de SFR. C'est ptêt pas très harmonieux mais ça fait moderne (pour ma part, ça me donne surtout l'impression que ce pauvre « e » essaie désespérément de se barrer du rond bleu) .

Après ce petit tour d'horizon des logos merdiques, je ne peux m'empêcher de penser à des marques comme Coca-Cola qui, au lieu de changer tous les 10 ans au risque d'être perpétuellement ringard, s'en tiennent plus ou moins à la même identité visuelle depuis plus d'un siècle. Il faut dire que quand Coca a été fondé, on ne vivait pas encore sous le joug de la com et du marketing qui s'intéressent plus au blabla autour du logo qu'au logo lui-même. La preuve en image avec l'explication du nouveau logo de SFR :

Vous comprenez maintenant pourquoi il est bien ce logo en fait ? Non ?Visiblement, vous n'êtes pas les seuls à ne pas être convaincus puisque sur la nouvelle box ADSL que SFR présentait en même temps que son nouveau logo, on voit ... l'ancien logo.

C'était bien la peine.

Comments

[h.]

rien a dire,
sinon que

1- je me suis regale ! vraiment vraiment !
des commentateurs avec une verve toute fredienne et une revolte-que-personne-sauf-une-poignee-de-fideles-on-la-chance-d'entendre toute wegelienne.
en bref, bravo !

2- a quand te lances-tu dans le logo fred !
(bambo prod et Dk et ton film et un peu tout ce que tu as fait etait deja tellement prometteur !
arrete de me faire languir !!!)

ton plus grand fan au japon,
ou ton site, juste pour le rappeller, et le principal materiel d apprentissage de la langue francaise !

[Jay]

C'est marrant, j'allais justement signaler et déplorer l'absence du logobeuh de la GOB.

L'occasion de dire que le sieur Poulass n'est pas le seul lecteur...

Tchi !

[Fried]

Cher lecteur avisé,

vous avez raison, le logo de GOB online est un cas d'école du logo qui veut se la jouer web 2.0.

Mais comme la GOB, tout le monde s'en tape, il ne m'a pas paru pertinent de l'ajouter à cette déjà bien trop longue liste, dont l'intérêt est par ailleurs discutable.

Quant à dire "vous ne nous avez finalement pas abandonné", cela me paraît largement exagéré, étant entendu que vous êtes le seul lecteur.

Bien à vous, tchi derechef.

[Poulass]

Cher monsieur Fariboles,

Dommage que l'exemple du logo de la GOB n'apparaisse pas dans cette diatribe au demeurant très pertinente et fort grisante.

Fidèle lecteur de ce blog au sens critique si affûté, je suis heureux de constater que vous ne nous avez finalement pas abandonné.

Bien à vous, tchi.