Paint it black - le livre 5 de Kaamelott
Vous voyez, jusqu'ici j'avais pas de mots assez élogieux pour parler de Kaamelott. C'était une vachement bonne série. Mais depuis hier soir, c'est encore beaucoup plus que ça. Du coup, je suis bien emmerdé ; j'ai encore moins de mots pour en parler.
Allez, on va essayer quand même, et sans trop de spoil au cul, si possible.
Au départ, Kaamelott ça avait l'air simple: c'était une aimable couillonade, la légende d'Arthur revue par Audiard. Des dialogues brillants, des acteurs épatants, on se marrait bien. Et puis, au fil des livres (ouais, on parle pas de « saison » pour Kaamelott) ça s'est corsé. Dès le livre 3, les rapports entre les personnages se tendaient, Lancelot commençait à péter un plomb, mais l'ensemble était quand même avant tout de la bonne poilade. Le 4 et la première partie du 5 viraient au tragique mais pas trop. L'intrigue globale était pas assez tendue, trop délayée pour révéler tout son potentiel dramatique. Et puis les 2x52 minutes de la première partie du 5 ressemblaient plus à des successions de saynètes qu'à des films à part entière. Astier avait pas l'air trop à l'aise avec le format long.
Déjà sur ce point, les épisodes diffusés hier soir montrent une nette amélioration. Le deuxième surtout, concentré sur Arthur, se suit d'une traite, on retient son souffle, on est surpris, on rit moins que d'habitude, aussi (mais c'est pas un reproche).
Alors bien sûr, l'évolution de Kaamelott va peut-être dérouter les amateurs du livre 1. C'est sûr qu'Astier prend un risque en étant moins dans la farce et plus dans la psychologie des personnages, moins dans le quotidien prosaïque et plus dans la légende. Mais finalement, si on suit la série depuis le début, il n'y a pas de quoi être vraiment surpris.
Car si la transition entre le comique des débuts et l'ambiance franchement noire de ce livre 5 se fait aussi bien, c'est parce que Kaamelott n'a jamais été Benny Hill. OK, c'est une série marrante mais quand on va au-delà du comique, on se rend compte qu'il n'y a pas de quoi rire. Le personnage d'Arthur est même foncièrement tragique: bâtard qui n'a pas connu son père, confié à un père adoptif auquel il est arraché pour suivre l'enseignement militaire romain dans un pays étranger, victime d'un mariage arrangé, bombardé roi de Bretagne par les dieux, sans que la mission qui lui est confiée soit très claire, Arthur n'a pas de famille, pas d'ami, pas de confident. Il est seul, accablé de responsabilités dont il ne veut pas vraiment. Pour couronner le tout, celui qui se rapprocherait le plus d'un ami, Lancelot, le trahit et veut le tuer.
Mais là où Astier fait preuve de subtilité, c'est qu'il a compris que même un personnage tragique ne passait pas ses journées à maudire le sort en se lançant dans d'interminables déclamations en alexandrin. Un personnage tragique peut très bien être drôle. Sous ses airs de joyeux divertissement, Kaamelott parvient en fait à dépasser le clivage idiot, totalement artificiel, entre comédie et tragédie pour atteindre quelque chose de plus réaliste (en écrivant ça, je pense à Six Feet Under, qui pouvait passer du rire aux larmes d'une scène à l'autre).
En tout cas, moi, ce livre 5 m'a conquis. Même si en tant que réalisateur, Astier peut encore s'améliorer (il y a encore des plans trop clipés, des effets un peu faciles), Kaamelott est sans doute ce que la télé française a produit de mieux, tant en termes artistiques que techniques. Je ne comprends d'ailleurs pas que le succès de la série n'ait pas entraîné une vague de créativité dans le PAF. On préfère toujours acheter des séries médiocres aux USA (cf NCIS, par exemple) plutôt que d'en produire de bonnes chez nous. Et France 2 s'imagine toujours qu'il suffit d'adapter de vieux classiques en faisant dégouliner le pognon sur l'écran pour remplir sa mission de service public (cf Napoléon, Les rois maudits, Guerre et paix).
Astier dit d'ailleurs des trucs pas cons sur la situation de la production télé en France. Si ça vous intéresse, vous pourrez trouver ça sur On en a gros.