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Fariboles & Calembredaines
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13 juin 2010

L'Affaire de la Matinale de France Inter

En France, on aime bien s'indigner. C'est une sorte de philosophie de vie, on râle, on s'insurge, on crie au scandale à propos de tout et de rien. On préfère toujours l'invective au débat posé et à l'échange d'arguments. Appelons ça le syndrome Zola : être citoyen français vous donne le droit d'accuser, de dénoncer, de vous draper dans votre bonne conscience en décernant publiquement les bons et les mauvais points.

Je ne dis pas que l'actualité ne nous donne pas tout un tas de raisons très valables d'être outrés, je ne suis d'ailleurs pas le dernier pour partager avec vous mes indignations quotidiennes. Rien que cette semaine, entre la question de la rémunération de nos élus, la marée noire aux Etats-Unis, l'autisme d'Israël ou l'enfumage marketing que représentent les différentes versions de l'iPhone depuis la sortie du 3G, y'a de quoi râler.

Mais à côté de ces sujets légitimes d'indignation, il n'est pas rare que le scandale vienne de faits sans aucun intérêt qui soudainement s'emparent des médias jusqu'à devenir des affaires d'état. Je vous ai déjà parlé de l'affaire du drapeau souillé par les fesses d'un photographe amateur, mais je pourrais aussi bien citer cette histoire autour de Martine Aubry déclarant qu'entendre Sarkozy parler de maîtrise des déficits, c'est comme entendre Madoff donner des cours de compta. Une petite phrase somme toute innocente par rapport à l'habituel festival d'injures auquel nous ont habitué nos hommes politiques (rappelons-nous de Frédéric Lefebvre souhaitant que Ségolène Royal soit d'urgence enfermée à Sainte Anne avec une camisole de force). Pourtant, cette phrase a violemment choqué les membres de la majorité, qui sont des gens très sensibles, au point qu'ils en appellent à la démission de Martine Aubry de la tête du PS.

Mais ce n'est pas de cette polémiquette là que je voulais vous parler. Non, il s'agit d'un sujet bien plus important, d'un sujet sur lequel chacun se doit d'avoir une opinion tellement c'est important ; je veux bien entendu parler de l'Affaire de la Matinale de France Inter, qui est un peu l'Affaire Dreyfus de ce début du XXIe siècle.

On va pas rentrer dans le détail de ce passionnant feuilleton, mais pour rappel l'Affaire commence en février 2009 lorsque, à l'occasion de la venue de DSK dans l'émission de Demorand, Stéphane Guillon fait une chronique où il présente le patron du FMI comme un dangereux Priape et conseille aux employées de France Inter de se planquer tant qu'il est dans les locaux. Bien que le goût de DSK pour les femmes soit un secret de polichinelle, le scandale éclate et c'est le retour de ce vieux débat moisi « peut-on rire de tout ? ». Depuis, chaque chronique de Guillon devient l'objet de toutes les attentions, chacun espérant un nouveau « dérapage » qui donnera l'occasion d'en remettre une couche sur la rengaine de la responsabilité des humoristes et des limites de la liberté d'expression.

L'Affaire rebondit il y a quelques mois lorsque Guillon ose l'impensable : dire qu'Eric Besson a « un vrai profil à la Iago, idéal pour trahir », allant même jusqu'à parler des « yeux de fouine » du ministre. Se moquer du physique des gens, c'est vraiment mesquin. Surtout qu'il avait déjà décrit Martine Aubry comme « un petit pot à tabac ». Vous vous rendez compte un peu ? Et Guillon d'oser se défendre en arguant que la caricature c'est précisément se moquer du physique ; que de Daumier aux Guignols en passant par Le Luron, Gerra ou Canteloup, c'est la base même du boulot de caricaturiste. Ces arguments fallacieux n'empêchent pas la polémique d'enfler et, courageusement, la direction de France Inter se désolidarise de son chroniqueur et présente ses excuses au ministre pour ce crime impardonnable. Devant les débordements à répétition de Guillon, on ne peut s'empêcher d'éprouver une pointe de nostalgie en songeant qu'à une autre époque, un journal pouvait être condamné parce qu'il soulignait la ressemblance entre le roi et une poire.

poire

On savait prendre des risques à l'époque.

 

Mais tout ça, ce n'est que le versant Guillon de l'Affaire. Comme pour Clearstream, d'autres affaires se cachent derrière l'Affaire.

Car il y a un effet collatéral à tout ce ramdam : Stéphane Guillon est intronisé premier opposant à Sarkozy, ce qui a le don d'agacer sérieusement son collègue d'antenne, Didier Porte. S'ensuit un échange d'amabilités entre les deux poids lourds du rire de la matinale qui conduit François Morel (le troisième larron de la sinistre Bande de la Matinale de France Inter) à vouloir remettre les pendules à l'heure :

 

 

Le dernier étage de l'Affaire éclate le 20 mai dernier. Demorand reçoit alors Dominique de Villepin et pour l'occasion, Didier Porte imagine l'ancien premier ministre atteint du syndrome de Tourette et lui conseille de se défouler avant l'émission en répétant plusieurs fois « J'encule Sarkozy ».

 

 

Que n'a-t-il pas dit là ! Voilà qu'il est convoqué par sa direction, qu'il reçoit un avertissement et qu'avec une rare élégance, il est lynché publiquement par ses collègues de travail (alors que Demorand a toujours soutenu Guillon), non seulement sur le plateau du Grand Journal de Canal + mais aussi dans Rue89. Même Patrick de Carolis a déclaré que s'il était le patron de Radio France, il aurait viré Porte.

Tout ça pour une malheureuse enculade ? Ils ont les oreilles en sucre tous ces défenseurs de la liberté d'expression ?

C'est peut-être parce que j'ai grandi devant South Park et Groland, mais je ne vois pas bien ce qu'il y a de si choquant là-dedans. D'accord, c'est complètement gratuit, ce n'est ni très drôle, ni très intelligent, mais c'est justement pour ça qu'il y a là quelque chose de réjouissant et qui ne porte pas à conséquence. C'est bêtement transgressif d'entendre « J'encule Sarkozy » répété plusieurs fois à la radio, c'est du même niveau que quand mon petit neveu de trois ans dit des gros mots, ça le fait juste rire parce qu'il sait qu'il n'a pas le droit de le faire.

Si ce qui a tant choqué dans cette affaire c'est qu'on dise un gros mot à une heure de grande écoute, alors ça veut dire que ce pays ne va pas bien du tout. Parce que la vraie vulgarité, le vrai mauvais goût, n'a rien à voir avec le fait de dire des mots comme « enculer ». Prenez par exemple la chronique de François Morel sur la très glauque affaire autour des fils de Philippe de Villiers :

 

 

Il n'y a pas un mot plus haut que l'autre, pourtant elle m'a beaucoup plus choqué que tout ce que Porte et Guillon ont pu dire dans leurs carrières. Elle m'a même mis franchement mal à l'aise, et je ne comprends pas pourquoi ce n'est pas cette chronique-là qui a fait scandale et qui a valu à son auteur d'être réprimandé par sa direction.

De la même façon, si j'étais Eric Besson (brrr), j'aurais été bien plus outré par ça :

 

que par ça :

 

Attention, j'aime beaucoup Morel, qui en général est très bon, mais je trouve bizarre qu'il y ait deux poids deux mesures. Sans doute Guillon est-il trop médiatique et Porte trop ouvertement engagé. Morel, il est bien gentil, il peut dire les pires saloperies, ça ne dérange personne.

Hélas, le feuilleton de l'Affaire de la Matinale de France Inter, qui a donné lieu à tant de passionnants rebondissements, ne devrait pas être reconduit pour une prochaine saison. Didier Porte ne reviendra pas l'année prochaine, et l'avenir de Guillon semble tout tracé. Le temps de la rigolade est bel et bien fini, et on peut en remercier, dans le rôle du défenseur du bon goût, Philippe Val, directeur de France Inter. Oui, le même Philippe Val qui chantait « On s'en branle » il y a quelques années, oui le même qui était rédacteur en chef de Charlie Hebdo, oui le même qui, dans un procès, défendait bec et ongle les caricatures de Mahomet (dont certaines n'étaient rien de plus que de la provoc gratuite) au nom de la liberté d'expression.

La triste conclusion de tout ça, c'est qu'il va falloir que je trouve une radio privée à écouter en buvant mon café le matin. Et ça, ça me scandalise vraiment.

 

PS : Si vous êtes du genre à signer des pétitions, il y en a une pour s'opposer à la suppression de la chronique de Didier Porte. Et si vous êtes du genre à regarder de longues émissions sur le net, jetez un œil à cette émission d'Arrêt sur images avec Porte, Morel et Charb.

PC : Derniers rebondissements en date, Guillon a soutenu Porte samedi soir dans sa chronique chez Ardisson, et a remis le couvert ce matin en attaquant directement Val. Un papier qui ressemble furieusement à une demande de licenciement en règle. Il doit y avoir une bonne ambiance à la machine à café de France Inter en ce moment.

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