Comment rendre fou un type de droite
C'est finalement assez simple : vous prenez, d'un côté, le drapeau tricolore, de l'autre, une paire de fesses, vous assemblez les deux, et vous laissez agir.
Il ne devrait pas se passer bien longtemps avant qu'un élu UMP n'avale sa chique et que l'affaire remonte jusqu'au sommet du gouvernement.
Oh, je sais bien ce que vous pensez. Vous vous dites : « Mon pauvre Fried, si vous croyez qu'à notre époque une provocation aussi facile, aussi puérile, en un mot ; aussi naze, puisse encore faire réagir quelqu'un, c'est que vous êtes bien naïf. Nous sommes tout de même au XXIe siècle, on en a vu d'autres. Croyez bien qu'en ces temps troublés, notre classe politique a d'autres chats à fouetter que de se pencher sur ce genre d'inepties. »
Malgré toute la sympathie que j'éprouve pour vous, estimés lecteurs, laissez-moi vous dire qu'à naïf, naïf et demi. Car vous semblez oublier que nous vivons dans un pays où le moindre sarcasme prononcé par un humoriste matutinal au sujet du physique d'un ministre suffit à enflammer le débat public pendant des semaines.
Et oui, chers lecteurs, on en est là, en France, en 2010.
Et oui, il suffit qu'un photographe amateur participe à un concours organisé par la Fnac, ayant pour thème le « politiquement incorrect », qu'il lui vienne la brillante idée de s'essuyer le céans avec le tricolore, qu'il soit désigné « coup de cœur du jury » pour que le landerneau s'agite et que la ministre de la justice menace de sortir une nouvelle loi, sur mesure, si la législation actuelle ne permet pas de punir ce mauvais Français.
Ce que nous apprend cette affaire d'état, c'est qu'à l'instar des papillons et des tornades, la connerie aussi est soumise à la loi du chaos.
A la Fnac de Nice, quelqu'un s'est un jour réveillé avec l'idée de faire un concours photo. Alors ce quelqu'un s'est creusé le ciboulot pour trouver un thème. Les chatons ? Les petites fleurs ? Non, à la Fnac, on est « agitateur de curiosité », donc il faut trouver quelque chose d'un peu branchouille, il faut du décalage et de la provocation. Le thème du « politiquement incorrect » s'est donc imposé de lui-même, car il est tout simplement impossible de trouver plus consensuel que cette notion usée jusqu'à la corde, tellement éculée qu'elle est devenue la nouvelle norme.
Le concours est donc lancé, et la machine infernale se met en branle. Quelqu'un, quelque part, entend parler de ce concours et se met à cogiter ferme sur le concept de « politiquement incorrect ». Au bout de trente grosses secondes d'intenses réflexions, l'idée lui apparaît, éblouissante de simplicité : le « politiquement incorrect », c'est de se torcher le cul avec le drapeau ! (Je pense que si j'avais participé, j'aurais simplement envoyé une photo d'Eric Zemmour. Mais fermons cet aparté.)
Simpsons Already Did It
Certes, l'idée n'est pas vraiment révolutionnaire, ou même simplement originale, mais ça suffit bien pour un concours organisé par le Leclerc de la culture. Ni une, ni deux, notre photographe amateur prend donc son cliché et l'envoie fissa au jury de la Fnac.
Jury qui, s'il ne donne pas à cette photo son grand prix (apparemment, c'est une femme enceinte en train de fumer une clope qui a gagné), lui décerne tout de même son « coup de cœur » (soit dit en passant, si c'est ça le coup de cœur du jury, je serais curieux de voir les autres photos).
Nous sommes le 18 mars 2010 et à ce moment-là, quasiment personne en France n'a entendu parler de cette histoire. Le ciel est, pour l'instant, dégagé. Mais le lendemain, l'édition locale de Métro publie la photo. Le ciel se couvre, le temps se rafraîchit. Des clients de la Fnac se plaignent, envoient des courriers indignés. La Fnac et le photographe amateur décident de ne pas exposer la photo incriminée, histoire de calmer le jeu. Mais c'est trop tard. L'orage commence à poindre. Des élus locaux, qui n'ont visiblement rien de mieux à faire de leurs journées, s'insurgent publiquement, et se donnent beaucoup de mal pour que ce petit scandale local prenne une dimension nationale. Grâce à eux, les médias nationaux et le net vont relayer la photo, permettant ainsi à chaque Français de la voir. Au passage, ils se livrent à des déclarations telles que : « Cette photo, ce n'est pas du politiquement incorrect, c'est de la provocation gratuite, c'est une injure. Le politiquement incorrect aurait été de faire cette photo avec le drapeau algérien. » (Lionnel Luca*, vice-président UMP du conseil général des Alpes-Maritimes). Qu'est-ce que le drapeau algérien vient faire dans cette histoire ? Aucune idée.
Là-dessus, la Fnac, qui se rappelle brutalement qu'elle est une entreprise commerciale et non pas une galerie, une fondation ou un musée, et que ce serait bien con de perdre des clients sous prétexte d'assumer ses choix artistiques, retire la photo et explique que : « Le jury a voulu récompenser l'auteur pour sa traduction impactante, sans aucune intention de manquer de respect au drapeau français. » (moi non-plus je ne sais pas ce que veut dire « traduction impactante »)
On peut alors penser que le gros de l'orage est passé, et que le ramdam médiatique autour de cette affaire va mourir peu à peu de lui-même.
Mais c'était compter sans Michèle Alliot-Marie, ci-devant ministre de la justice, qui a décidé d'entamer des poursuites judiciaires contre le photographe en question (on peut d'ailleurs se demander si ce n'est pas plutôt la Fnac qu'il faudrait poursuivre). Et si l'état actuel de la loi ne le permet pas, c'est pas grave, on en fera une autre, exprès.
Oui car c'est le problème quand on vote uniquement des lois de circonstances : elles sont trop spécifiques pour être vraiment utiles. C'est précisément le cas de cette loi sur l'outrage au drapeau et à l'hymne national, votée par cette même majorité en 2003 et qui ne concerne que l'outrage lors d'une manifestation publique (7500 euros d'amende, tout de même).
A ce jour, on en est là. Si je me suis si longuement attardé sur le développement de l'affaire depuis le début, c'est que cela illustre parfaitement ma théorie de l'effet papillon appliqué à la connerie. Pensez un peu à la stupéfaction qui doit régner aujourd'hui à la Fnac de Nice : comment auraient-ils pu imaginer voir l'eau tiède de leur concours bidon provoquer un tsunami place Vendôme ?
C'est d'autant plus sidérant que des insultes aux symboles nationaux, il y en a d'autres, et plus graves. Par exemple, quand je vois Nicolas Sarkozy ou Eric Besson devant le drapeau, je ne peux m'empêcher de me sentir insulté en tant que Français. Et c'est encore pire quand j'apprends que l'Etat a payé 500 000 € l'exilé fiscal (et ami du président) Johnny Hallyday pour qu'il chante le 14 juillet dernier au Champ de Mars. Pour fêter l'abolition des privilèges, on n'aurait sans doute pas pu trouver pire.
Franchement, y'a pas de l'outrage, là ?
Quoiqu'il en soit, si la façon dont ce Niçois traite le drapeau ne m'empêche pas de dormir, je préfère nettement quand c'est Emma de Caunes qui s'y frotte. Je ne sais pas si c'est politiquement incorrect, mais c'est plus agréable à regarder.
* Le 23 octobre 2009, interviewé au sujet de la polémique sur l'envoi de 3 réfugiés afghans dans leur pays d'origine, où la population civile est régulièrement victime de la guerre qui s'y déroule, consécutivement au démantèlement de la «jungle de Calais», Lionnel Luca déclare «Je trouve un petit peu indécent qu’on s’apitoie sur leur sort quand au même moment nos soldats se battent pour leur liberté. S’ils étaient des hommes, ils se battraient aussi pour leur liberté, sur leur territoire» (source : Wikipédia. Juste pour situer un peu le personnage...)